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dimanche 10 mai 2009

"Il suffit de quelques jours pour que la barbarie rejaillisse"

Max GALLO, historien et homme politique, a répondu à un journaliste du Point après la sortie de son ouvrage fleuve sur la Révolution française. Homme de culture, atypique et souvent dérangeant, il brosse un portrait moderne de la grande déflagration du XVIIIéme siècle et de notre société qui conserve les gènes de ce qui a brisé une organisation politique vieille d'un millénaire... Et sincèrement, l'argument "révolutionnaire" est autrement plus détaillé et expliqué que la diatribe anti-sarko du "bellâtre" de l'ONU, un certain Villepin...

Le Point - L'historien François Furet affirmait que les braises de la Révolution s'étaient éteintes l'année de son bicentenaire. Faut-il réviser cette opinion ? Max Gallo - Je n'ai jamais partagé son point de vue. La Révolution française est un creuset dans lequel il y a toute l'histoire de France depuis ses origines. Un monde nouveau est né de cet événement qui a marqué profondément, par sa radicalité et sa brutalité, notre conscience nationale. Si bien qu'aujourd'hui, de nombreux comportements politiques et humains sont déterminés par la force de ce passé-là.
Seriez-vous sur la ligne de ces auteurs marxistes et socialistes pour qui la Révolution n'est pas terminée ? Un événement de cette ampleur n'est jamais terminé. Seulement, j'en tire une conclusion différente. En examinant la Révolution, on découvre combien, dans une société organisée, la sociabilité entre les hommes est extrêmement fragile. Et qu'il suffit de quelques jours, parfois de quelques heures, pour que la barbarie des comportements humains rejaillisse. Je pense depuis toujours qu'un des périls majeurs qui guettent nos sociétés contemporaines est l'irruption de la violence et des barbaries. C'est donc sans aucune indulgence que je considère la Révolution française par rapport aux actes humains. Elle est un antimodèle qui pèse encore aujourd'hui. Le peuple français est capable de balayer en peu de temps une institution millénaire comme la monarchie. Il est toujours dans la posture de pouvoir renverser un gouvernement. Selon lui, il n'y a pas de légitimité donnée, car les hommes politiques sont suspects. La période révolutionnaire les a montrés incapables de régler les problèmes. On a faim en 1798 comme en 1788, malgré dix ans de violences. La guerre et le désordre ne règlent aucun problème. On découvre que les politiques sont des girouettes. Ceux qui ont crié "vive le Roi !" ont ensuite suivi en cortège Robespierre et ont fini régicides.
Avoir le ventre creux aujourd'hui et être de culture française, donc héritier de la Révolution, peuvent être socialement explosifs ! Une de nos caractéristiques nationales est l'extrême susceptibilité à l'inégalité. Ce qui est d'ailleurs très antérieur à la Révolution. Il y a un proverbe du Moyen-Âge qui dit : "Qui est plus haut que nous sur terre est ennemi." Il y a du sacré en chaque homme. Nous avons dans nos valeurs, le refus de l'inégalité affichée. La sensation d'être inférieur est difficilement acceptable. "Égalité" n'est-il pas le mot voûte de notre devise nationale ? De la Guadeloupe à un président d'université, en passant par un enseignant-chercheur ou un ouvrier, on entend les mêmes mots : "On nous méprise !", "On veut du respect !" Cette susceptibilité est révélatrice de cette volonté d'égalité.
Qui sont les ventres dorés et pourris de notre époque ? Tout le discours politique est fondé sur cette opposition entre ventre creux et ventres dorés, qui sont souvent, en effet, des ventres pourris. Quand on dit que des milliards ont été donnés aux banques, certains répondent : "Et rien pour les autres !" Toujours selon une structure binaire. On peut ajouter les stock-options des patrons, les bonus des traders, les bénéfices de Total... tout ça est inacceptable d'une certaine manière. Cela renvoie dans notre imaginaire au mépris exprimé par Marie-Antoinette, quand on véhicule l'idée que, devant des officiers monarchistes, elle aurait dit : "Ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche."
Une révolte de grande ampleur serait-elle possible aux États-Unis ? Les inégalités existent, c'est le moins qu'on puisse dire... Elles existent évidemment. Les minorités ethniques affirment souvent leur dignité et la volonté de ne plus être traitées comme jusque dans les années 70. Mais la caractéristique de ce pays est que le Noir se définit comme américain. Il n'existe pas ces tensions de l'émiettement que l'on retrouve en France. On arbore le drapeau américain dans son pavillon, on le met à sa boutonnière. Cela s'explique notamment par le fait que ces hommes sont unis par un attachement religieux. Le président prête serment sur la Bible de Washington ou de Lincoln, mais il prête serment d'abord sur la Bible. Il y a, également, ce lien consubstantiel à la naissance d'une nation qui s'est faite contre l'étranger, contre un pays colonisateur, et non au terme d'une guerre civile. Ce qui rend l'unité nationale moins fragile qu'elle ne l'est dans un pays comme la France.
Est-il, selon vous, crucial de réfléchir au passé pour mieux penser le présent et l'avenir ? Absolument. L'histoire est le seul laboratoire dont disposent les hommes pour comprendre le fonctionnement des sociétés. Chaque fois qu'on fait une réforme aujourd'hui, on se doit de tenir compte de l'extrême susceptibilité quant à la question de l'inégalité. Le CPE qui a déclenché des manifestations en 2006 est apparu inacceptable, car il introduisait, selon ses opposants, de l'inégalité entre différentes couches d'âges. Les auteurs de ce projet n'ont pas mesuré cette apparence capable de dresser contre lui une majorité de la population. Les politiques, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy, se réfèrent-ils suffisamment à l'histoire ? Pas assez...
En ont-ils la capacité ? En tant qu'individus, ils ont une moins grande connaissance historique. Ils ne sont que le reflet d'une situation générale liée à la globalisation et à la perte des repères nationaux. Mais il y a un facteur plus aggravant : nous sommes dans une société de l'image. Celle-ci introduit l'immédiateté de l'événement. L'image est sans mémoire, elle produit un attrait qui dure le temps où elle est présente. Cette pression médiatique, associée à celle de l'opinion, rend l'exercice du pouvoir très compliqué. Or, le gouvernement, c'est la longue durée.
Sarkozy a-t-il le peuple de sa politique ? Dans un vieux pays comme la France, on n'est jamais prêt à la réforme. Les présidents qui se sont succédé depuis 1981 ont choisi de ne pas réformer et de ne pas affronter la complexité de notre société. En 1774 - et pendant 15 ans -, les élites politiques, avec l'appui du Roi et de ministres réformateurs, ont eu conscience de la nécessité de réformer. Mais ce fut impossible. Ils ont donc été contraints de convoquer les États généraux pour que chacun s'exprime, pour que chacun rédige un cahier de doléances. La revendication et la prise de parole sont alors devenues un trait de notre histoire politique.
Qui est Nicolas Sarkozy ? Sarkozy est un immigré de la deuxième génération. Tous les autres présidents de la République sont issus du centre géographique de la France. Ce qui montre que le peuple français n'est pas xénophobe, contrairement à certains discours. On s'extasie sur l'élection d'Obama alors que nous avons fait un choix qui, par rapport à nos traditions politiques depuis la IIIe République, est tout à fait novateur. Sarkozy n'est pas fabriqué mentalement comme ses prédécesseurs, dans la mesure où il n'est pas énarque. Étant étranger à ce mécanisme de formation, une partie des élites ne lui pardonne pas. Sarkozy séduit et choque. Son style décomplexé est parfois mal perçu. Peut-être a-t-il sous-estimé, lors de ses premiers mois à l'Élysée, l'importance du sacré en matière de pouvoir présidentiel. Il a trop vite anticipé sur des évolutions qui se produiront.
Est-ce votre dégoût pour le PS qui vous a poussé à voter pour Sarkozy en 2007 ? Je pense que la France est dans une crise nationale de longue durée. Il m'a semblé que ce n'était pas à gauche que l'on pouvait trouver la réponse à cette crise. Il faut savoir séparer les attitudes religieuses et les choix politiques. Choisir un candidat n'est pas entrer en damnation ni être sanctifié. Je ne regrette pas mon choix.
Êtes-vous toujours de gauche ? Si être de gauche est se reconnaître dans les formations politiques de gauche, alors je ne suis plus de gauche. Si c'est dire que l'on croit à la liberté créatrice de l'homme et à la nécessité de lui donner les moyens de s'épanouir, si c'est penser qu'il n'y a pas de déterminisme que l'on puisse briser, dans ce cas, j'appartiens encore à cette famille.
En appelez-vous à une révolution ? Non. Qui dit révolution dit irruption de la violence. Nos sociétés sont extrêmement fragiles. La responsabilité majeure de celui qui a accès à la parole publique est de mettre en garde contre cette irruption. Qu'un candidat à la présidence de la République dise, dans les dernières semaines de la campagne, si Sarkozy est élu, cela mettra le feu dans les banlieues, je trouve cela totalement irresponsable.
La crise n'a-t-elle pas mis en évidence les limites de l'Europe ? Oui. Pour la simple raison qu'elle s'est dissoute dans un ensemble sans autorité politique. J'ai voté contre le Traité en 2005, non parce qu'il défendait le libre-échange, mais parce qu'il organisait l'impuissance politique. J'entends François Bayrou dire qu'il est partisan d'un emprunt européen. Moi aussi. Mais quels sont les autres États qui y sont favorables ? Si l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie sont contre, notre voeu est un voeu pieux. Je suis pour la constitution d'un grand ensemble avec de grands travaux à l'échelle européenne et la création d'un pôle économique et social. Si l'Estonie ou Malte s'y oppose, c'est impossible ! L'Europe ne peut survivre que s'il y a une forme de coup d'État institutionnel de pays qui sont, par leur taille et leur puissance, les grands du continent. On ne peut pas décider à l'unanimité des 27 ou alors on risque la paralysie.

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